Le coût exorbitant des visas Schengen pour les Africains : des “millions d’euros engloutis”

Migration. 

Ce sont des millions d’euros perdus par les ressortissants africains en quête d’un visa Schengen, qui permet de séjourner pour une courte période dans les pays de la zone. Une situation qui alarme la presse africaine, qui y voit un paradoxal et vain transfert d’argent des pays défavorisés vers la riche et claquemurée Europe.

Courrier international

Réservé aux abonnés  Publié aujourd’hui à 14h08  Lecture 3 min.

Un passeport marocain devant un visa d’accès à l’espace Schengen, photo prise le 28 septembre 2021.
Un passeport marocain devant un visa d’accès à l’espace Schengen, photo prise le 28 septembre 2021.  PHOTO FADEL SENNA/AFP

Près de 56 millions d’euros. C’est la somme perdue par les Africains en 2023 en demandes de visas Schengen qui ont été refusées par les pays membres de l’espace Schengen. Ce coût abyssal occupe la presse africaine, qui revient sur ce chiffre.

Le titre marocain Hespress s’amuse même à convertir la somme en voitures de luxe, affirmant qu’elle représente de 225 Ferrari 488 GTB, lesquelles “ont été données gratuitement aux autorités européennes qui ont, en plus, refusé d’octroyer un droit de voyage”.

Et ce sont les Algériens qui fournissent le plus gros de cette manne financière, rapporte le site de Radio M. “Treize millions d’euros ont été engloutis pour des requêtes infructueuses”, note le média algérien, qui rappelle que le salaire moyen algérien avoisine les 240 à 300 euros mensuels. Les 80 euros de chaque demande représentent une dépense qui équivaut à plus d’un tiers de leur revenu mensuel. Une “iniquité flagrante”, fustige Radio M, alors que toutes ces démarches ne fournissent “aucune garantie d’obtenir le précieux sésame”.

Siphon de dépenses

Chez le voisin marocain, les demandes infructueuses de visas Schengen ont aussi un prix : 11 millions d’euros au total, fait remarquer Tel Quel. L’Égypte (3,7 millions d’euros), le Nigeria (3,4 millions d’euros) et la Tunisie (3,1 millions d’euros) suivent de près, indiquent Hespress et Radio M.

Le titre algérien note également qu’au Sénégal le taux de refus avoisine les 70 %, ce qui représente un coût de 2,11 millions d’euros pour la population du pays. Certains pays, ajoute le titre algérien, comme le Congo, la Guinée, le Mali ou la Guinée-Bissau affichent des taux de refus encore plus élevés que les ressortissants algériens, ce qui ne peut qu’aggraver le fardeau financier des candidats au visa.

Et pourtant, note à juste titre Hespress, ces sommes ne sont que la partie émergée de l’argent englouti dans ces démarches. Il faut en effet y ajouter les dépenses non prises en compte dans le calcul des frais, telles que les dépenses engagées pour obtenir un simple rendez-vous administratif. Bien qu’illégaux, poursuit le titre marocain, des intermédiaires se font payer pour réserver un rendez-vous auprès des agences tierces qui s’occupent du traitement des demandes. Un encombrement s’ensuit, qui empêche les personnes qui n’y ont pas recours de trouver facilement un créneau horaire.

En réalité, remarque Hespress, s’ajoutent au prix du visa des frais parallèles qui peuvent s’élever de 50 à 250 euros, et parfois jusqu’à 500 euros “pour des demandeurs crédules et pressés d’avoir un rendez-vous pour un visa”. “Une manne financière occulte, non déclarée, illégale et qui échappe au contrôle des autorités marocaines et de celles des pays européens” et qui aggravent la crise de la question migratoire.

90 % des dépenses en Asie et en Afrique

La plupart des chiffres cités par la presse africaine sont repris des informations de Schengen News. Selon le site d’information consacré à cet espace qui englobe les territoires de 29 États européens, et qui régit et unifie les règles de circulation et les contrôles frontaliers, les ressortissants africains, avec ces 56,3 millions d’euros en frais de demande de visa en 2023, ont pesé pour 43 % de toutes les dépenses.

Signe de fermeture cet espace européen aux pays du Sud, en 2023 “les taux de rejet ont été particulièrement élevés pour les pays africains et asiatiques”, lesquels supportent pourtant 90 % de toutes les dépenses.

“Selon les données de Schengen Visa Statistics, en 2023 les ressortissants africains ont reçu 704 000 réponses négatives à leurs demandes de visa. Cela signifie que 56,3 millions d’euros sont partis en fumée, sachant que les frais de demande de visa ne sont pas remboursables.

À y regarder de plus près, les Marocains ont été les principaux demandeurs de visa en provenance d’Afrique en 2023 et ont eu le plus grand nombre de visas rejetés : 136 367 demandes déposées en 2023 ont été rejetées, ce qui représente 8,3 % du total des visas refusés. L’Algérie suit, avec 166 260 visas rejetés sur les 474 032 déposés, soit 35,07 % de toutes les demandes de visas pour l’espace Schengen.

Paradoxal transfert de fonds du Sud vers le Nord

Pour Tel Quel, ce coût représente une forme de transfert de fonds inversés, un transfert de richesse nette des pays pauvres du Sud vers les pays du Nord favorisés. Et, avertit Tel Quel, la situation risque de s’aggraver, avec l’augmentation, dès juin, du prix du visa Schengen, qui passe de 80 à 90 euros, soit une augmentation de 12,5 %.

Même analyse désabusée du côté de Radio M, qui estime que “les populations africaines, déjà confrontées à des défis socio-économiques majeurs, se retrouvent ainsi dans l’impasse, contraintes de choisir entre renoncer à leur rêve de voyage ou s’endetter pour tenter leur chance”.

Une analyse partagée par Marta Foresti, fondatrice du collectif Lago (Local Action on Global Opportunities), une ONG qui œuvre pour trouver des solutions aux défis mondiaux. “L’inégalité des visas a des conséquences très tangibles, et les plus pauvres du monde en paient le prix. Vous pouvez considérer les coûts des visas rejetés comme des ‘envois de fonds inversés’, de l’argent circulant des pays pauvres vers les pays riches. On n’entend jamais parler de ces coûts lorsqu’on parle d’aide ou de migration, il est temps de changer cela”, indique-t-elle à Schengen News.

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