Défendre les frontières de l’UE ou ses valeurs : quelle est la vraie mission de Frontex ?

Chargée de la protection des frontières extérieures européennes, Frontex est tributaire des autorités nationales et doit suivre des consignes ambiguës. Ce qui la rend impuissante et la conduit à être complice d’exactions, analyse l’hebdomadaire du quotidien belge “De Standaard” dans une longue enquête.

De Standaard Weekblad

“Quel cap Frontex veut-elle prendre : veut-elle être la gardienne des frontières européennes ou celle des droits humains ?” interroge “De Standaard Weekblad”.
“Quel cap Frontex veut-elle prendre : veut-elle être la gardienne des frontières européennes ou celle des droits humains ?” interroge “De Standaard Weekblad”.  LA COUVERTURE DE “DE STANDAARD WEEKBLAD” DU 25 MAI.

“Au cours de la dernière décennie, Frontex est devenue la plus grosse et la plus coûteuse des agences de l’Union européenne. De 6 millions d’euros en 2005, son budget annuel est passé à 859 millions en 2024.” Ce mastodonte est pourtant en pleine “crise d’identité”, constate De Standaard Weekbladqui, dans son dossier de couverture, décrit une agence aux prises avec “de nombreux scandales” et “confrontée à sa propre impuissance”.

Le problème de Frontex, analyse l’hebdomadaire belge, c’est qu’elle est censée tout à la fois incarner l’“efficacité” de l’Europe en matière migratoire et se montrer garante des “valeurs européennes”. “L’agence dispose de dizaines d’effectifs en uniforme, autorisés à porter une arme”, poursuit-il.

“Mais aux frontières, ils se trouvent sous l’autorité des gardes-côtes et gardes-frontières nationaux. Or c’est précisément à ces frontières que le droit international est systématiquement bafoué.”

“Et voilà comment Frontex se retrouve structurellement impliquée dans des incidents mortels, des refoulements violents et d’autres graves violations des droits humains”, conclut De Standaard Weekblad.

Le terrible naufrage du chalutier “Adriana”

Le journal flamand prend l’exemple du naufrage “le plus meurtrier des vingt dernières années”, celui de l’Adriana. Alertée au matin du 13 juin 2023, l’agence Frontex envoie un avion en reconnaissance au-dessus de ce chalutier surchargé, qui se trouve en difficulté en Méditerranée. Sur la base des images, elle décide de ne pas lancer d’alerte mais d’envoyer un signalement aux autorités grecques, puisque l’Adriana est entré dans leurs eaux territoriales.

La Grèce se contente alors de demander à des bateaux commerciaux de ravitailler l’Adriana et affirmera que les migrants “ne [voulaient] pas être aidés”. “Le bateau fera naufrage vers 2 heures du matin, sous les yeux des gardes-côtes grecs. Avant cela, l’Adriana aura été suivi attentivement treize heures durant. Mais seuls 104 de ses passagers seront sauvés. Plus de 600, dont une centaine d’enfants selon les estimations, se sont noyés.”

En l’attente d’une enquête grecque sur le sujet, la médiatrice de l’UE s’est saisie du dossier et a produit un rapport accablant, rapporte De Standaard Weekblad. Elle plaide pour une refonte de Frontex, à laquelle il faudrait donner des “consignes claires” sur les cas où elle doit sonner l’alarme concernant un bateau à la dérive. Et souligne : “L’Union européenne affirme que sauver des vies est une obligation, et pourtant elle injecte des milliards dans une agence dont le fonctionnement ne repose pas sur ce principe.”

Refoulements “à grande échelle”

Comme le décrit plus longuement le journal dans son enquête, c’est sous la houlette du Français Fabrice Leggeri – désormais candidat aux européennes sur la liste du Rassemblement national – que Frontex a pris de l’ampleur et fait montre d’une ambition clairement orientée vers la défense des frontières.

En parallèle, dans plusieurs pays des Balkans où opère l’agence, les refoulements – c’est-à-dire la reconduite, souvent violente, de personnes à l’extérieur des frontières, les empêchant ainsi de trouver secours et de demander asile – sont devenus une pratique “à grande échelle”. Ces dernières années, De Standaard s’est rendu dans une dizaine de pays de part et d’autre des frontières extérieures de l’Union européenne et témoigne :

“Partout, nous avons recueilli des récits qui faisaient état d’une grande brutalité. Des hommes et des femmes nous ont montré des bleus et des fractures causées par les gardes-frontières avec lesquels Frontex collabore.”

“En Grèce, nous avons vu des minibus rouler sans plaque et reconduire des migrants de l’autre côté de la frontière, poursuit De Standaard. Régulièrement, des migrants sont déshabillés, mordus par des chiens et dépouillés.”

D’après l’article 46 de ses statuts en matière de droits fondamentaux“Frontex doit se retirer des opérations lorsque le respect du droit international n’est pas garanti”, résume le journal. Elle l’a fait en Hongrie et en Lituanie, dont les législations contrevenaient au droit européen, mais dans des pays comme la Grèce, la Bulgarie et la Croatie, “qui pratiquent les refoulements à grande échelle mais le nient publiquement”, la question est plus délicate, voire “existentielle”, résume le journal : “Si Frontex se retire de toutes les frontières, la plus coûteuse des agences de l’UE n’aura plus d’utilité.”

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