À l’occasion des européennes, les migrants sont toujours vus comme un problème à « maîtriser »

Mediapart

La campagne pour les élections européennes montre que, une fois de plus, l’Union européenne plébiscite l’externalisation comme seule réponse au phénomène migratoire, pour mieux « protéger » ses frontières des arrivées de personnes migrantes.

Nejma Brahim

5 juin 2024 à 15h19

C’estC’est un sujet qui ne cesse de planer, à chaque échéance électorale nationale. À l’échelle européenne, les élections prévues pour les 8 et 9 juin n’y échappent malheureusement pas : les migrations, surtout celles présentées comme « illégales », ne sont évoquées que sous le prisme de la menace, qu’il faudrait à tout prix « contrôler » et « maîtriser », en « protégeant » nos frontières des étrangers qui tenteraient de les franchir à la recherche d’une vie plus stable, loin des conflits, des persécutions, du dérèglement climatique ou de la misère économique.

Pour contenir ces mouvements de population, qui existent pourtant depuis l’histoire de l’humanité – et qui ne gênent en rien lorsque ces déplacements concernent des personnes blanches, issues de pays occidentaux, appelées courtoisement « expatrié·es » –, les États européens misent tout sur le rejet de l’autre, en externalisant la gestion de leurs frontières auprès de pays tiers dont la réputation en termes de respect des droits humains est souvent effroyable.

Les accords signés avec de tels États pullulent depuis plusieurs années, avec en tête la Libye, la Turquie, le Maroc, et plus récemment l’Albanie et l’Égypte. À coups de plusieurs centaines de millions, voire de milliards d’euros, l’Union européenne (UE) pense ainsi pouvoir acheter le contrôle des migrations qu’elle a toujours failli à gérer comme il se doit, avec humanité et dignité.

Les politiques d’externalisation ont été consacrées dans le pacte migratoire européen adopté en avril dernier, dont l’objectif est, entre autres, de développer l’examen (bâclé) des situations des personnes exilées aux portes de l’Europe, pour les empêcher de pénétrer le territoire européen et les expulser plus rapidement vers leur pays d’origine, ou vers les États par lesquels elles auraient transité durant leur parcours migratoire.

Le PPE en veut plus

Les accords signés (ou évoqués) récemment avec le Liban, l’Égypte et l’Albanie s’inscrivent dans la droite ligne de ce pacte migratoire. Ursula von der Leyen, qui a multiplié les visites et les poignées de main avec les chefs d’État concernés ces derniers mois, ne cache pas son envie d’en développer encore davantage. Son parti, le Parti populaire européen (PPE), est allé jusqu’à vanter, indirectement, le modèle rwandais, en présentant dans son programme ses mesures en matière migratoire.

« Toute personne demandant l’asile dans l’UE  pourrait être transférée vers un pays tiers sûr et y suivre la procédure d’asile. En cas d’issue positive, le pays tiers sûr accordera une protection au demandeur sur le site. » Un accord « contractuel global », peut-on lire ensuite, sera établi avec le pays tiers sûr concerné.

Un projet qui ressemble furieusement à celui du Royaume-Uni qui, depuis plusieurs années et dans un scénario à moult rebondissements, a négocié et fini par adopter un accord avec le Rwanda pour y expédier les demandeurs et demandeuses d’asile qui se présenteront sur son sol après avoir traversé la Manche à bord d’un canot pneumatique.

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© Illustration Justine Vernier / Mediapart

Le programme de Jordan Bardella, tête de liste du Rassemblement national (RN) pour représenter l’extrême droite française au Parlement européen, vise aussi à tenir éloignées les personnes exilées : le parti souhaite « organiser le traitement des demandes d’asile dans les ambassades et consulats des pays d’origine », avec l’objectif d’« éviter une immigration du fait accompli ».

Il entend également instaurer une « double frontière », qui permettrait à l’agence de surveillance des frontières européennes Frontex (dont l’ancien patron a rejoint la liste du RN) de « renvoyer les migrants illégaux » : autrement dit, de procéder à leur refoulement, une pratique strictement illégale au regard du droit international.

Quinze États membres vantent les bienfaits de l’externalisation

Dans le même esprit, et dans le contexte bien particulier des élections européennes, pas moins de quinze pays ont coécrit et publié une lettre ouverte à la Commission européenne pour réclamer « de nouveaux moyens et de nouvelles solutions pour prévenir l’immigration irrégulière en Europe »

Les signataires (l’Italie, la Grèce, la Pologne, l’Autriche, la Lettonie, la Lituanie, l’Estonie, la Bulgarie, la Roumanie, la République tchèque, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas et les îles de Chypre et Malte) optent pour une sorte de « en même temps ».

Tout en disant « partager la conviction que l’UE doit continuer à œuvrer pour créer un monde plus juste et un système d’asile plus humain », ils demandent à prévenir et à lutter contre les migrations irrégulières « à la racine et le long des routes migratoires […] et à faire la promotion du retour » des exilé·es dans leur pays d’origine. 

Et proposent, en guise de solutions nouvelles, de « sortir des sentiers battus » et d’« encourager l’établissement d’accords et de partenariats durables avec les pays partenaires le long des routes migratoires ».

Autrement dit, de poursuivre les politiques d’externalisation déjà mises en place, avec les exemples cités de la Turquie et de la Tunisie, dont l’UE doit s’inspirer selon eux. « De tels partenariats sont essentiels non seulement pour gérer les mouvements migratoires irréguliers vers l’Europe, mais aussi pour offrir aux migrants une alternative à la mise en danger de leur vie lors de voyages périlleux », justifient-ils avec une pointe de cynisme et de déni – car dans les faits, de tels accords n’empêchent pas les personnes de tenter de gagner le pays de destination souhaité.

S’agissant des sauvetages en mer, ils suggèrent enfin de réacheminer les personnes secourues vers « un lieu sûr prédéterminé dans un pays partenaire en dehors de l’UE »plutôt que de les accueillir sur le territoire européen ; ce qui, dans les faits, serait contraire au droit maritime international, qui impose de débarquer les personnes secourues au port sûr le plus proche de la zone de sauvetage.

Un étendard face à d’autres réalités

En Méditerranée, pour des départs depuis la Libye, c’est le cas de l’Italie et de Malte, bien que cette dernière ne réponde plus aux appels des ONG de sauvetage depuis des lustres. Souvent citées parmi les pays en première ligne pour l’accueil des exilé·es secouru·es après une traversée, il n’est pas anodin que l’Italie, la Grèce et Malte figurent dans la liste des signataires. 

Il est plus inquiétant en revanche que douze autres États aient franchi le pas de l’externalisation, au point de la réclamer officiellement aux membres de la Commission européenne.

Comme l’expliquait Brigitte Espuche, du réseau Migreurop, l’externalisation est « une tendance qui vient de loin », et c’est parce que « ses velléités sont profondes qu’elles se donnent à voir aujourd’hui ». Elle a pourtant montré ses limites par le passé, contribuant à violer le droit international et à bafouer les droits des personnes migrantes, tout en les isolant et en les précarisant toujours davantage.

Dans ce brouhaha politique, peu nombreux sont ceux qui écoutent les chercheurs spécialistes des questions migratoires, qui préconisent l’ouverture de voies de migration légales. Peu nombreux sont ceux qui rappellent que, en 2021, le nombre de personnes ayant migré vers l’Europe représentait 0,5 % de la population européenne (voir la vidéo de La Cimade)

Peu nombreux sont ceux qui, enfin, soulignent une autre réalité : la majorité des déplacements de population se fait à l’intérieur d’un même pays ou d’un même continent, bien loin des clichés sur une prétendue « invasion migratoire » véhiculée par la droite et l’extrême droite.

Seules les listes de gauche résistent au supposé modèle de l’externalisation – Raphaël Glucksmann (Parti socialiste-Place publique) propose même de l’abandonner –, et prônent une vision plus « humaniste » des migrations. Certaines réclament la fin ou la refonte de Frontex, d’autres plébiscitent des voies légales et sécurisées de migration, ou encore la garantie des sauvetages en mer.

Mais, en toile de fond, l’idée d’expulser les personnes qui n’auraient pas l’asile ou un titre de séjour est tentante pour le PS, qui n’hésite pas à parler de « contrôler » et de « maîtriser » les migrations, tandis que La France insoumise ou le Parti communiste français voudraient aussi agir sur les causes de l’exil, pour en réduire les chiffres. Un double discours dont un sujet aussi sensible que celui des migrations se passerait bien.

Nejma Brahim

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